lundi 28 avril 2014

1514-2014 Philibert De l’Orme, un architecte dans l’Histoire

http://cesr.univ-tours.fr/medias/fichier/programme_1397823509741-pdf

Pour marquer le cinq-centième anniversaire de Philibert De l'Orme, grand théoricien de l'architecture et bâtisseur parmi les plus inventifs de la Renaissance européenne, le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours organise un colloque qui réunira, du 30 juin au 4 juillet 2014, plusieurs historiens et historiens de l'art. Vous pouvez télécharger le programme ici.

LVIIe Colloque international d’études humanistes organisé par Frédérique Lemerle & Yves Pauwels
L’ANNEE 2014 est celle du cinq-centième anniversaire de la naissance à Lyon de Philibert De l’Orme, le plus grand architecte de la Renaissance française. Artiste fécond, d’une abondance inventive comparable à celle de Michel-Ange, humaniste nourri aux sources antiques romaines qu’il connaît intimement, brillant constructeur imaginant des formules inédites de charpente et concevant des voûtes d’une incomparable virtuosité, écrivain prolifique auteur des Nouvelles inventions pour bien bastir (1561) et du Premier tome de l’architecture (1567) qui sont aussi des miroirs de son œuvre et de sa personnalité, homme de pouvoir exploitant au mieux sa fonction de surintendant des bâtiments du roi, homme de foi enfin, abbé de Saint-Serge d’Angers et chanoine de Notre-Dame, l’architecte favori de Diane de Poitiers et de Henri II a suscité bien des recherches, depuis les travaux que lui consacrèrent à la fin du XIXe siècle Adolphe Berty, Léon Charvet ou Marius Vachon jusqu’aux ouvrages d’Anthony Blunt et de Jean-Marie Pérouse de Montclos. Son œuvre a subi quantité de dommages, mais il en reste assez de témoignages pour que le génie de l’architecte puisse encore être apprécié : le château de Diane de Poitiers à Anet est un remarquable condensé des inventions et des raffinements d’un artiste majeur. Mais l’hôtel Bullioud à Lyon, le tombeau de François Ier à Saint-Denis, les vestiges du palais des Tuileries récemment remontés au Musée du Louvre ou abandonnés à un triste sort au château de la Punta près d’Ajaccio, et des demeures parisiennes peu connues atteste la force créatrice de celui qui fut dans son art l’égal de Rabelais ou de Ronsard.
     L’anniversaire de sa naissance est l’occasion de faire le point sur cette figure phare de la Renaissance et sur les multiples problématiques posées par un homme aux innombrables facettes : peindre le contexte historique, intellectuel et artistique dans lequel il évolue, préciser les contours du savoir-faire d’un homme de métier magnifié par le savoir humaniste, les responsabilités assumées au service de la Couronne et la conscience religieuse, définir l’architecte qui s’empresse d’aller au-delà des règles vitruviennes sitôt qu’il les a maîtrisées comme le littéraire qui transparaît dans l’œuvre imprimée. Tout en faisant référence aux édifices les plus prestigieux réalisés dans le contexte de la cour de France, le colloque développera les aspects les moins connus de la formation, de la culture, de la personnalité et de la production architecturale de Philibert De l’Orme, et s’attachera à la réception et à la fortune de son œuvre au cours des siècles suivants.
     Traités par les spécialistes français et étrangers les plus renommés, les différents thèmes seront abordés dans l’optique pluridisciplinaire qui est celle des colloques internationaux d’études humanistes du Centre d’études supérieures de la Renaissance : la formation scientifique (mathématique en particulier), le contexte historique et culturel (la vision de Rome telle que De l’Orme pouvait l’avoir, païenne et chrétienne et les rapports avec la culture italienne), l’ambiance artistique (littérature musique, sculpture, peinture, décor intérieur, jardin), les rapports entre création et maîtrise des techniques, le lien entre pratique architecturale et écriture théorique, le statut de l’architecte sous le règne des derniers Valois, afin de contribuer à une synthèse originale qui complète en les dépassant les monographies antérieures.

Festival de l'Histoire de l'Art à Fontainebleau du 30 mai au 1er juin 2014

Naumachie à Fontainebleau, tapisserie (détail). Vers 1588. Florence, Galerie des Offices.
Haut lieu de la Renaissance française, le château de Fontainebleau est aussi celui de l'histoire de l'art car il accueille, depuis quatre ans, une manifestation exceptionnelle et précieuse, le Festival de l'Histoire de l'Art. Que l'éloignement du château ne vous fasse pas douter : il faut absolument y aller. D'ailleurs, la route n'est pas si compliquée. En moins de quarante minutes, un train de banlieue vous amène depuis la Gare de Lyon jusqu'à la Gare de Fontainebleau Avon - profitez-en pour lire un article que vous vouliez lire depuis longtemps ou corriger des épreuves ! -, puis un bus de la ville ou, mieux, la navette du festival vous transportent jusqu'au château (arrêt "La Poste" pour la porte de Diane ou "Château" pour entrer par la grande grille). Le tout vous prendra moins d'une heure.
Comme d'habitude, la programmation très riche du festival s'articule autour d'un thème principal - cette année, Collectionner - et d'un pays invité - la Suisse. Le Salon du Livre est un autre point fort du festival. Le programme est ici : http://festivaldelhistoiredelart.com/.
La Renaissance française sera évoquée surtout lors des visites guidées, ainsi que lors de quelques conférences et tables rondes.
Je me permets de vous indiquer celle de Marie-Hélène Tesnière, La prestigieuse collection de manuscrits du duc Jean de Berry, le 31 mai, de 17h30 à 18h30, site de MINES ParisTech, salle 108, bâtiment I.
Vous êtes également invité à la conférence que je donne le 1er juin, Les hommes illustres, les ancêtres, les amis et les belles dames : qu’est-ce qu’une collection de portraits ?, également à MINES ParisTech (35 rue St Honoré), Grand Amphi, bâtiment B, de 12h30 à 13h30.
Mais aussi à la table ronde Le marché des collectionneurs : former l’œil qui aura lieu à MINES ParisTech, bâtiment P, salle 301, le 1er juin de 15h à 16h30 et qui réunit les enseignants de Drouot Formation. J'y parlerai notamment de l'autographie si chère aux collectionneurs et de ses limites lorsqu'il s'agit de l'art renaissant et tout spécialement du portrait.
Plus de précisions sur les deux manifestations du 1er juin dans quelques jours.
Je suis présente au Festival tous les jours, n'hésitez pas à me contacter si vous voulez me rencontrer !
A très bientôt à Fontainebleau !

lundi 7 avril 2014

Portrait par François Quesnel et son atelier en vente à Versailles

Un petit portrait d'homme sera vendu à Versailles le 13 avril. Il s'agit d'une œuvre rare et intéressante, malgré sa maladresse, il faut dire plutôt touchante. Car si les dessins attribuables à François Quesnel sont nombreux, seules quelques peintures, de qualité très inégale, sont conservées. La plupart représentent les dames, comme si les collectionneurs des siècles suivants étaient plus sensibles au charme des figures féminines plutôt qu'à la rudesse des hommes du règne de Henri IV. C'est le cas de ce gentilhomme anonyme, vêtu d'un pourpoint gris clair dont seules les manches sont visibles et d'un collet de la même couleur aux épaulettes ornées de galons et aux boutons de passementerie. Oubliées les larges fraises de la fin du règne de Henri III, place au col rigide tout simple et dépourvu de dentelle. Mais la moustache est fièrement relevée et la barbe carrée est taillée à la toute dernière mode. Le dessin préparatoire ne semble pas avoir survécu, mais il devait sans doute ressembler à ceux de la Bibliothèque nationale de France, tel le portrait de Jacques Nompar de Caumont daté de 1595. Le tableau versaillais est vraisemblablement une copie réduite d'atelier d'après une peinture du maître aujourd'hui perdue, un portrait plus intime destiné à la famille. Il n'en garde pas moins le souvenir assez précis de la manière de François Quesnel dont l'intervention est possible. Car il faut tout le talent d'un portraitiste pour rendre cette douce mélancolie qui ne diminue en rien la prestance et l'assurance de l'homme, tout en le rendant plus vivant et accessible.

Atelier de François Quesnel, Gentilhomme inconnu. 1597.
Huile sur bois. H. 0,195 ; L. 0,135.
François Quesnel, Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force. 1595.
Pierre noire et sanguine sur papier. Paris, BnF Est. Na 22 rés.
Gilles Chausselat commissaire-priseur, Versailles, 13 avril 2014, lot 71.
Expositions Publiques : vendredi 11 avril de 14h à 18h, samedi 12 avril de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Galerie des Chevau-légers, 6 bis avenue de Sceaux VERSAILLES.

dimanche 6 avril 2014

Pour en finir avec l’escadron volant

« L’Escadron volant » : quelle expression belle et imagée, cinématographique même ! On croit les voir, ces dames de Catherine de Médicis superbement vêtues, unies comme un corps de l’armée autour de la reine mère, obéissant à ses moindres commandements, volant ou voletant de telle salle d’apparat à telle chambre royale, séduisant, charmant ces hommes si belliqueux, si passionnés, si avides de conquêtes, militaires ou, à défaut, féminines. Image qui colle si bien à la légende noire de Catherine de Médicis et qui a fait la joie des écrivains du XIXe siècle – citons seulement le roman l’Escadron volant de la Reine de César Lecat, baron de Bazancourt (2 vol., Bruxelles, J. P. Meline, 1836) – et des cinéastes du XXe siècle jusqu'à Chéreau et les téléfilms récents sur Henri IV. Car malgré leurs efforts, les historiens ne parviennent toujours pas à lever ces soupçons d'immoralité et de scandale qui pèsent sur la cour des Valois et pimentent merveilleusement le discours des guides touristiques et des "spécialistes" des émissions de télévision. Mais comment, face à la force de cette expression malheureuse, prouver que les dames de la reine ne se servaient point d’amour pour soustraire des informations, attirer les hommes dans les toiles d’araignée savamment tissées par leur machiavélique maîtresse, soumettre ou embarrasser. Que leurs armes réelles étaient leur conversation, leur grâce, leur amabilité, leur « doulceur » et « gentillesse » et que leur but était d’apaiser, de calmer les ardeurs, d’ouvrir les cœurs, de policer les paroles et les mœurs. Leurs qualités étaient l’excellente éducation, l’élégance, la vertu, la patience, l’esprit. On aura préféré parler de la cour des dames, de leur société agréable, plutôt que de cet escadron volant embarrassant. Et pourtant, on a du mal à s’en défaire, comme s’il s’agissait d’une expression consacrée, d’un nom donné à ces dames par leurs contemporains eux-mêmes et donc inévitable.
On croit d’ordinaire que le terme provient de Brantôme et de son Recueil des dames. L’escadron volant aurait en effet toute sa place parmi les histoires plus croustillantes les unes que les autres que Brantôme affectionne. Ces adultères, rendez-vous galants, relations libertaires, scènes tantôt tragiques, tantôt burlesques, mais presque toujours érotiques : une histoire avec un petit h que beaucoup croient plus vraie que la grande histoire, prétendument maquillée et enjolivée par les historiens trop prudes. Or, rien chez Brantôme sur cet escadron volant qui aurait pourtant sévi lorsque l’écrivain était lui-même à la cour. Ni en mal, ni en bien. Seulement une description enchantée de la « troupe de Dames et Damoiselles, creatures plustost divines que humaines [...] les unes plus belles que les autres, les unes plus lestes et mieux empoint [gracieuses et élégantes] que les autres, [...] les unes plus gentilles que les autres, les unes plus agreables que les autres  ». Les mots de Brantôme sont pleins d’admiration et de respect, et il n’hésite pas à louer la vertu des suivantes de Catherine de Médicis :
« sa compaignie et sa Court estoit un vray Paradis du monde et escolle de toutte honnesteté, de vertu, l’ornement de la France, ainsin que le sçavoyent bien dire les estrangiers quand ils y venoyent ; car ils y estoyent très-bien receuz, et commandement exprez à ses Dames et filles de se parer, lors de leur venue, qu’elles parroissoyent Deesses, et les entretenir sans s’amuser ailleurs ; autrement elles estoyent bien tansées d’elle, et en avoient bien la reprimande. »
A aucun moment Brantôme ne parle d’un « escadron volant », pas plus que d’un « escadron » tout court, ni d’une « troupe » volante. Point d’escadron volant dans le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis, ouvrage méchant de propagande protestante et source de bien des éléments de la légende noire de la reine mère.
D’où vient donc cette expression ? L’origine est à rechercher dans l’opuscule anonyme de plus de trois cent vingt pages paru à Cologne en 1695 sous le titre Les amours de Henri IV, roi de France, avec ses lettres galantes et les réponses de ses Maîtresses. On ne doit pas le confondre avec l'Histoire des amours de Henry IV, avec diverses lettres escrittes à ses maistresses de 1652, réédition de l'Histoire des amours du grand Alcandre écrite probablement par Louise-Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, morte en 1631 et publiée en 1651 (le manuscrit est conservé à la bibliothèque de l'Institut, Ms 825). Le texte de 1695 est très différent d'Alcandre et se veut historique et sérieux. Un long développement couvre la jeunesse de Henri IV et le règne de Henri III, époque que la princesse de Conti mentionne à peine. On lit ainsi, à la page 20 :
« La Reine Catherine qui haïssoit mortellement le Roi de Navarre, lui tendit plusieurs piéges dont il se tira avec adresse : mais comme elle connoissoit son foible, & qu’elle savoit qu’il n’étoit pas à l’épreuve du beau sexe, elle le prit du côté de la galanterie, & lui opposa certaines demoiselles aux charmes desquelles il ne fut que trop sensible. Cette Princesse qui n’avoit que son ambition en tête, & qui ne comptoit pour rien la pudeur & la Religion, avoit toujours un Escadron Volant, s’il m’est permis de parler ainsi, composé des plus belles femmes de la Cour, dont elle se servoit à toutes mains pour amuser les Princes & les Seigneurs, & pour découvrir leurs plus secrettes pensées. »
L’auteur enchaîne sur la relation du roi de Navarre avec Charlotte de Beaune, dame de Sauve (« Madame de Sauve veuve de Secretaire d’État, qui passoit pour une des plus belles femmes de la Cour, fut la première sur les rangs. ») : Dumas en fera l’une des lignes principales de sa Reine Margot.
« S’il m’est permis de parler ainsi » : la phrase ne laisse aucun doute sur l’utilisation première et probablement abusive du terme. Celui-ci, traduit de l’italien squadrone volante, est le nom choisi par les cardinaux qui n’étaient attachés ni au parti espagnol, ni au parti français, et dont le vote s’était avéré décisif lors des élections pontificales de 1655. Le Squadrone joua un rôle important sous le règne d’Alexandre VIII élu grâce à eux, puis dans l’élection de Clément IX. L’expression plut, et on l’employa ensuite à Rome pour désigner un groupe de personnes, prélats ou non, dont l’adhésion n’était pas évidente, mais dont les choix ou les votes influaient sur les décisions politiques. C’est dans ce sens de groupe politique, mouvant, secret et cependant décisionnaire que l’auteur des Amours de Henry IV avait employé le terme « escadron volant » à propos des dames de Catherine de Médicis. Reprise dans toutes les relations des amours du Vert Galant, puis par les historiens et les écrivains, la malheureuse étiquette devint célèbre, incontournable, jusqu’à éclipser, dans la langue française, sa signification romaine première. Essayez donc de faire une recherche en tapant simplement « escadron volant » !
Or, pour en finir une fois pour toutes avec l’image d’une cour des Valois dépravée et libertaire, d’une Catherine de Médicis tenancière d’une vraie maison close de luxe peuplée de Mata Hari en vertugadins mais sans aucune vertu, d'un régiment féminin se déployant hors des champs de bataille des guerres de religion, ne faut-il pas commencer par rejeter ce terme facile et péjoratif ? Plutôt qu’une armée de dames, dangereuses guerrières de l’amour, parlons donc d’une « trouppe » ou, mieux encore, d’une « compagnie » de dames et imaginons un jardin fleuri pour reprendre l’expression que Brantôme avait placée dans la bouche de François Ier : « Comme de vray une cour sans dames c’est un jardin sans aucunes belles fleurs. »
Pour ne pas laisser ce texte sans images, voici l'unique portrait véritable de Charlotte de Beaune, un dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France :
Benjamin Foulon, Charlotte de Beaune, dame de Sauve puis marquise de Noirmoutier. Vers 1585.
Pierre noire et sanguine sur papier. Paris, BnF Na 22 rés.