dimanche 14 septembre 2014

Exposition de tableaux et sculptures à la Galerie Alexis Bordes ou quelques réflexions sur le rôle du chercheur sur le marché de l'art

Le rapprochement entre les chercheurs universitaires et le marché de l'art, qui semblait, il y a quelque temps encore, absolument exclu (officiellement, en tout cas), devient non seulement envisageable, mais parfois même concret, notamment dans le domaine de la peinture ancienne.
Autrefois fleuron du marché, le secteur de la peinture ancienne est aujourd'hui en perte de vitesse et si œuvres des grands maîtres parviennent encore à atteindre des prix considérables, la plupart de tableaux peinent à trouver un acheteur. Le marché se réduit comme une peau de chagrin et les dispersions des collections sont, hélas, plus fréquentes que les créations de réunions nouvelles et les jeunes collectionneurs passionnés catastrophiquement rares. Dans cette ambiance morose, le catalogue devient un outil indispensable, car les quelques informations communiquées oralement ne suffisent guère à convaincre cette nouvelle clientèle, particulièrement tatillonne et exigeante. L'acheteur aujourd'hui recherche non seulement un coup de foudre, mais veut également disposer de toutes les informations possibles sur l’œuvre qui l'intéresse. Outre la biographie de l'artiste, il cherche à comprendre la composition, l'iconographie, la signification d'un tel ou tel élément, découvrir l'originalité du tableau, son histoire, sa place dans l'art, ses rapports avec les autres peintures. Autrement dit, tout ce qu'un historien de l'art à la formation universitaire peut savoir sur l’œuvre. Un chercheur qui ne se contente pas de consulter les bases de prix et les dictionnaires d'artistes, mais va plus loin dans son étude, mobilisant toutes les sources, aussi bien en histoire qu'en histoire de l'art, d'autant quand aucune signature ne donne le nom de l'artiste. Expliquer une attribution : rien n'est aussi difficile et délicat. Comprendre, puis faire comprendre une œuvre pour mieux l'aimer : rien n'est aussi excitant.

Passé ce petit préambule, je me permets de vous convier à la Galerie Alexis Bordes, au 4 rue de la Paix, qui présente actuellement une exposition de peintures anciennes et de sculptures accompagnée d'un catalogue que M. Bordes m'a très gentiment demandé de rédiger. Point de peintures françaises de la Renaissance, hélas, mais un superbe Saint Jérôme pénitent par l'atelier de Joos van Cleve, l'envoutant Duc de Huescar par Nattier, la Grotte de Néptune à Tivoli par Francesco Fidanza, deux marines de Francesco Casanova (le frère de l'aventurier) ou encore Persée ou Alexandre, bronze attribué à Ceribelli de la fin du XIXe siècle qui s'inspire du Scipion du Louvre datant du XVe siècle.
Atelier de Joos VAN CLEVE (Clève ?, ca 1485/1490 – Anvers, 1540/1541). Saint Jérôme pénitent dans son étude. Circa 1530‑1540. Huile sur bois. 63,3 x 43 cm.

Exposition du vendredi 12 septembre au vendredi 28 novembre 2014 (ouverture exceptionnelle les samedi 13 et 20 septembre)
GALERIE ALEXIS BORDES
4, rue de la Paix 75002 Paris
escalier 2, 2e étage droite
Horaires d’ouverture : 10h30 à 13h – 14h15 à 19h
   

mardi 10 juin 2014

Retour sur le Festival de l'Histoire de l'Art 2014

Tout d'abord, merci à tous ceux qui avaient bravé l'heure du déjeuner et l'éloignement du site de MINES ParisTech pour venir m'écouter. Certes, une heure, c'est très court pour aborder un thème aussi vaste, mais le phénomène de collections de portraits, de par sa banalité et omniprésence même, mérite qu'on s'y intéresse. Le texte ci-dessous n'est pas un résumé, mais un petit aperçu de ce que nous avons vu ensemble.
Rendez-vous l'année prochaine à Fontainebleau ! 
 
Les hommes illustres, les ancêtres, les amis et les belles dames : qu’est-ce qu’une collection de portraits ?
La conférence avait porté sur l’histoire des collections de portraits dans toute leur diversité, avec un intérêt particulier pour les périodes charnières qui sont l’Antiquité, la Renaissance, le XIXe et le XXe siècles. Il ne s’agira pas cependant de tracer une quelconque évolution linéaire, ni de présenter pèle mêle les différentes réunions de portraits, mais bien de tenter de comprendre les motivations des collectionneurs, leurs attentes, leurs buts, essayer de définir ce qui fait une collection de portraits, en s’appuyant sur des exemples concrets : châteaux de Beauregard, d’Ambras et de Frederiksborg, collections de Roger de Gaignières, de Louis-Philippe, du roi Philippe II d’Espagne, des marquis de Biencourt, du général Despinoy, de Carl Gustave Tessin, château d’Ambras, musée de Paolo Giovio, National Portrait Gallery, cabinet d’Antoine Le Pois, Syon House, projets Inside Out de JR et 1503 de Christian Tagliavini etc.
Qu’est-ce qui motive la création d’une galerie de portraits ? Est-elle visible, ostentatoire, célèbre, officielle, muséale, ou, au contraire, intime, privée, cachée ? Quel est le rôle des artistes qui interviennent à la demande du collectionneur lorsqu’il est aussi commanditaire ? Le nom du modèle importe-t-il sur celui du peintre lorsqu’il s’agit d’acheter les portraits ? Comment intégrer les autoportraits, les ouvres modernes et contemporaines ? Quel est le rapport que les collectionneurs entretiennent avec la ressemblance ? Comment une collection s’organise, quels sont les classements proposés, choisis, quel est l’impact d’un ordre, d’une hiérarchie dans la création d’une réunion et dans sa perception ? Quelles ont été et sont les modes, les traditions, les impératifs, les théories, les libertés, les inventions, les innovations ? Ne s’agit-il pas parfois d’une simple décoration d’intérieur ? Une collection vit avec son propriétaire, mais elle peut également mourir, disparaître, être dispersée ou bien évoluer et même changer d’ordonnance, de sens, de portée : quelles sont les raisons de ces transformations, qu’est ce qui fait que l’intérêt pour un rassemblement demeure ou se perd ? Comment plusieurs collections peuvent-elles coexister dans un même lieu ? Une collection de portraits peut-elle être une œuvre d’art ? Iconothèques, bases de données, photos en ligne : qu’est-ce qu’une collection de portraits à l’heure d’internet et de l’information disponible ?
Autant de questions auxquelles il est malaisé de répondre en un temps court, mais qui doivent être posées pour réussir à saisir ce qui fait une collection de portraits et qu’est-ce qui la différencie de toute autre collection. Collectionner les visages, est-ce collectionner les œuvres ou les êtres ? 
Serie Gioviana, Galleria degli Uffizi.